Marche Sensible OPUS 5 - Quand la ville se fabrique sur la ville
Une exploration du quartier GrandAlpe en devenir
Réalisée à bicyclette, cette exploration sensible était accompagnée par Adrien Balocco, urbaniste et auteur d'une thèse sur la manière dont les habitants réinventent des usages dans les espaces urbains, ainsi que par Bastien Dalmasso, chef de projet participation citoyenne GrandAlpe.
Le texte qui suit a été écrit à plusieurs mains par les membres du C2D qui ont initié cette Marche Sensible. Il apporte une mise en perspective de cet arpentage collectif, en complément des dessins, réalisés par Emdé et du podcast, écoutable ici , réalisé par Célia Bugni, créatrice du podcast 6h06.
Le projet de requalification territoriale GrandAlpe, situé au sud de la métropole, est un bel exemple des enjeux et de la complexité de la reconstruction de la ville sur la ville.
400 hectares, 30 000 habitants, 40 000 emplois… Ces quelques chiffres permettent de prendre la (dé)mesure d’un site dont le programme se donne pour horizon de devenir le « 1er écoquartier populaire de France ».
Nous sommes ici sur le site des jeux olympiques, des utopies urbaines et des innovations sociales qui ont imposé Grenoble dans l’imaginaire collectif durant des années. La première impression qui marque le groupe parti arpenter le territoire GrandAlpe en vélo, est d’abord la stupéfaction face aux surfaces vertigineuses consommées pour la circulation automobile : Avenues à 6 voies, parkings de supermarché et ronds-points semblent s'organiser autour d'un gigantesque centre commercial qui a siphonné tous les commerces de proximité.
En cinquante ans, nos préoccupations ont changé de nature et le développement intense de la métropole autour des jeux olympiques devient un immense héritage à restaurer ou à faire évoluer à marche forcée...
Une question résume alors nos observations : Comment rendre au vivant ce territoire aujourd'hui construit sur un modèle dépassé ?
Le projet de requalification urbaine est ambitieux puisqu’il réduit fortement la place de l’automobile au profit de nombreuses plantations nouvelles, allées végétalisées, parcs, mais aussi d'espaces de circulations douces ou de transports collectifs. La dimension physique et politique des mobilités marque ce territoire. C'est une des révolutions importantes à opérer dans les changements de comportement. Cela pose la question des relations entre formes des espaces et pratiques des occupants : Qui façonne l'autre ?… Nous avons constaté nous-mêmes combien il ne peut y avoir de changement de pratiques de mobilités dans l'espace tel qu'il est aujourd'hui formaté. L’automobile reste reine, et l’immense centre commercial parait peu utilisable par des usagers à vélo.
Grand Place semble avoir siphonné l’ensemble des pratiques commerciales et l'on ne trouve pas une seule boulangerie indépendante sur ces 400 hectares…. Cet asséchement économique résonne douloureusement avec la manière dont l’agora démocratique reposait hier sur la place du marché.
Nous nous sommes arrêtés sur le site « Alibert », vaste friche industrielle dont il ne reste désormais, comme héritage à traiter, qu’une dalle de béton de 13 hectares en un mètre d’épaisseur ainsi que des sols dans un état de dégradation vertigineux. Restaurer les écosystèmes demandera sans doute plusieurs décennies de soins intensifs.
L’arrêt SNCF d’Échirolles, qui sera profondément remanié pour devenir la gare multimodale GrandAlpe, apparaît assez naturellement comme un point d’entrée majeur de l’agglomération. Cette qualité d’accès au site GrandAlpe explique aussi l’implantation en cours d’entreprises et de sièges sociaux. L’enjeu est double : il s’agit autant de lutter contre les délocalisations en créant des emplois locaux dans un large spectre de compétence que de rapprocher ces emplois de l’habitat afin de réduire les navettes de déplacement domicile-travail.
Les recompositions des avenues Marie Reynoard (comprenant la disparition de l’autopont) et de l’avenue de l’Europe vont redéfinir les usages quotidiens du quartier et les hiérarchies symboliques. Il sera cependant long et difficile de renouer avec une vie sociale intense. Les stratégies financières privées comme la vente de l’hypermarché Carrefour à un investisseur marocain spécialiste de l’alimentation hallal, impacteront durablement les politiques publiques.
Nous avons terminé la Marche Sensible à Alpexpo. Construit par l’architecte Jean Prouvé et classé « architecture remarquable du XXe siècle », ce bâtiment est un exemple caractéristique de constructions récentes pensées sans soucis d’adaptation thermique. Le parvis croisant la patinoire Pôle-sud, Alpexpo et Grand Place fait l’objet d’un projet de végétalisation transitoire. Pied de nez aux grandes ambitions de la modernité, c’est aussi dans une ferme urbaine que se trouve dorénavant l’espoir de renouveau d’un site marqué par une eau et des sols pollués. Ce retour à la terre résume bien le renouvellement des imaginaires pour parvenir à s’adapter aux enjeux climatiques, sociaux et économiques d’aujourd’hui.
Comment rendre ce territoire aux vivants ?
Pour y parvenir, il faut d’abord s'interroger sur la méthode : Ce territoire peut-il se construire sans tester des formes participatives et contributives de fabrication de la ville ? Les initiatives actuelles sont peu lisibles, éparses, et bien en deçà de ce que ce projet démesuré exigerait (en particulier concernant la dimension symbolique et multiculturelle).
Cela mériterait sans doute un atelier d'urbanisme dédié, permanent et créatif. Cet espace de dialogue viserait à associer les habitants, les usagers et des porteurs d’expériences ou d’expérimentations renouvelant les imaginaires.
Le territoire de GrandAlpe est au croisement de trois communes. Plein de promesses, il semble aujourd'hui en panne d’identité et de récits partagés.
Un important travail de pédagogie et de participation active apparait incontournable pour permettre à ce territoire de devenir un écoquartier populaire remarquable pour que ceux qui y vivent, qui y consomment et qui y travaillent, mais aussi pour permettre à GrandAlpe de devenir un territoire accueillant pour tout autre visiteur étranger au quartier.
L’enjeu est bien pour cet espace, comme pour tous les territoires de la république, de parvenir à former demain une communauté d’acteurs.
Merci à Adrien Balocco et Bastien Dalmasso d’avoir accompagné l’arpentage à bicyclette de ce territoire complexe en devenir.
Vous souhaitez vous plonger à votre tour dans cette Marche Sensible ?
N'hésitez pas à écouter ce podcast réalisé par Célia Romand Bugni, créatrice du Podcast 6h06 durant la Marche Sensible du conseil de développement en cliquant sur l'image ci dessous :