Marche Sensible OPUS 7 - Traverser la ville, la nuit

 

Cette page, et le podcast ci-dessous ont pour but de permettre à chacun et chacune de vivre - ou de revivre -  cette expérience collective d'une traversée de l'agglomération la nuit  réalisée du vendredi 15 au samedi 16 Mars 2024, entre 1 heure et 3 heures du matin.

Belle découverte, et belle écoute !

 

 

Nous étions 18 à nous retrouver dans le hall de la gare de Grenoble, aux alentours de 23:00, pour cette traversée nocturne, initiée par Francie et Philippe, Poissons Pilotes du Groupe de Travail Marches Sensibles.

Nous avons d’abord écouté une quinzaine de minutes le géographe Luc Gwiazdzinski nous présenter les recherches qu’il mène depuis une trentaine d’années autour des temps sociaux, et plus particulièrement de l’impact des temporalités sur l’urbanisme.

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Les densités de piétons, d’automobilistes ou d’usagers des transports en commun ne sont pas les mêmes à 6 heure du matin ou à midi, au mois d’août ou à la rentrée des classes, un jour de pluie ou de canicule…. Les conséquences de ce premier constat sont nombreuses : on pourrait ainsi, par exemple, aménager un parking ou calibrer une entrée de ville en utilisant cette variabilité rythmique des usages pour gagner en souplesse et réduire les nuisances. Certaines métropoles le font. D’autres investissent la nuit comme un nouvel eldorado touristique, en négligeant combien les travailleurs associés à la nuit sont souvent plus exposés aux désordres psychiques ainsi qu'à une fatigue excessive.

Dans la foulée de cet exposé cadrant la problématique, et comme pour toutes nos Marches Sensibles précédentes, nous sommes partis tester par nous-mêmes et sans a-priori les multiples aspects de la vie nocturne dans notre cité.

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Dès notre première station, à 100 mètres de la gare, nous avons repéré un campement de fortune composé d’une douzaine de tentes et devant lesquelles trainaient deux ou trois poussettes et quelques paires de chaussures d’enfants. Malaise, impuissance, colère, compassion, lassitude se mêlent chez chacune et chacun d’entre nous devant ce premier constat – nos vies ne se valent pas et celle des précaires est plus fragile encore durant la nuit.

Nous nous divisons ensuite en deux groupes afin de nous fondre plus discrètement dans les rues. Le premier groupe rejoint la place Saint-Bruno où une partie des habitants profite du premier soir de Ramadan.  Une discussion s'engage avec deux jeunes sur l'Algérie. Un sentiment de tranquillité accompagne la douceur printanière qui imprègne la ville dans laquelle piétons, cyclistes et dompteurs de trottinettes semblent particulièrement décontractés. Durant cette première partie de la nuit qui est encore celle des restaurants, des cinémas et des dernières navettes de tramways, les passants parcourent la ville en groupe plus ou moins large. Chaque groupe semble se suffire à lui-même et éviter les interactions.

Après une heure du matin, nous entrons dans une nuit où les usages sont plus clairsemés, rares même lorsque nous traversons le parc Hoche. L’expérience de la frayeur est difficile à éprouver car l’effet de groupe nous protège par sa simple masse. Mais la nuit active une horloge biologique que l’on ne peut abstraire : une légère fatigue s’installe, une vigilance s’installe dans nos corps où l’animalité primitive reprend sa part. Nous percevons avec une intensité nouvelle les odeurs, les sonorités, l’ombre et la lumière…

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C’est avec cette réalité biologique du corps que les professionnels en activité à cette heure tardive doivent composer nuit après nuit. Nous avons visité et échangé oralement aux alentours de 2 heures du matin avec des policiers, des bénévoles AMICI du Samu-social en maraude, des personnels de santé des urgences gynécologiques/obstétriques du CHU et des agents de gardiennage. Tous doivent domestiquer leur fatigue propre, tout en composant avec l’exacerbation des émotions, les pulsions, les craintes des publics qu’ils ont à recevoir.

 

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De retour à la gare vers 3 heures, il était tentant de poursuivre l’exploration jusqu’à l'ouverture du Marché d’intérêt National vers 4h30 du matin ... de quoi rêver déjà au prochain arpentage collectif, occasion d'affuter notre compréhension métropolitaine, dans ses différents recoins, comme dans ses diverses temporalités.

 

 

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Un immense merci

 

aux équipes des urgences gynécologiques du CHU et de  l'association AMICI

pour avoir bien voulu prendre le temps d'échanger avec le groupe,

à Luc Gwiazdzinski d'avoir bien voulu éclairer cet arpentage collectif nocturne,

mais aussi à Alice Raconte pour ses dessins en noir et blanc, si bien pris sur le vif de la nuit,

ainsi qu'à Lorine Le Louvier, alias, La soufleuse, pour cette juste restitution sonore, dont elle a le secret.

 

 

 

Découvrir quelques ressources sur la ville la nuit et les temporalités urbaines :

 

 

Habiter la nuit urbaine

Ce que la nuit raconte au jour

La nuit, dernière frontière